De nombreuses entreprises se sont trouvées, depuis plus d’une décennie, dans une situation socioéconomique difficile, mettant en jeu leur survie. Certaines d’entre elles ne passent pas le cap et se voient contraintes au dépôt de bilan. Quelles actions et quelles démarches faut-il adopter pour assurer leur survie, sortir des difficultés et entrer dans la phase de redressement ? Le chantier des entreprises en difficulté, publiques ou privées, est plus que jamais d’actualité. Les nouveaux défis, que doivent affronter très prochainement nos entreprises, incitent à l’élaboration de diagnostics permettant d’identifier avec précision leurs vrais problèmes et de proposer les solutions adéquates.
Dans le contexte d’incertitude que nous vivons aujourd’hui, et face à un environnement devenant de plus en plus dur, hostile et exigeant, les entreprises publiques se retrouvent dans l’obligation de réagir. Seulement, toute action, quelle qu’elle soit, est vouée à l’échec si elle n’est pas basée sur un diagnostic global permettant de déceler les causes profondes des difficultés et de proposer les solutions les plus adaptées.
Les difficultés continuent pour la compagnie aérienne nationale tunisienne Tunisair. Certains estiment qu’elle ne sera plus en mesure d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses employés et ses fournisseurs. Pour sortir de cette crise, la direction étudie plusieurs pistes en urgence, dont un plan social qui comprend le départ de 1.200 agents. Les dirigeants, qui se sont succédé à la tête de cette entreprise, affirment avoir tout fait pour ne pas en arriver à cette extrémité, soit de procéder au licenciement d’une partie de son personnel, mais disent ne pas voir d’autres solutions. Mais des solutions plus drastiques pourraient être mises en place. Ainsi, à chaque examen du dossier de cette entreprise, l’Etat exige un plan de redressement de la direction de la Compagnie pour pouvoir lui garantir un accompagnement et un soutien financier. Mais sa situation ne cesse d’empirer, faisant face à des baisses de trafic suite aux attentats successifs après la révolution et aux tiraillements politiques.
Néanmoins, ses difficultés ne datent pas d’hier. La compagnie aérienne fait toujours face à de grandes difficultés financières. La crise sanitaire due au coronavirus a forcé la compagnie à garder ses avions au sol pendant plusieurs mois, ce qui a engendré des pertes colossales de son chiffre d’affaires et une chute brutale de ses revenus.
Qui pour sauver la Gazelle ?
Face aux multiples dettes de la compagnie, les pouvoirs publics sont appelés à réagir dans l’urgence pour éviter la catastrophe. Le gouvernement tunisien répondra-t-il à temps pour sauver l’entreprise du gouffre financier dans lequel elle ne cesse de s’embourber ?
Au regard des chiffres inquiétants, qui annoncent sa faillite quasi inévitable, le soutien direct du gouvernement, à travers la mise en œuvre d’un plan de relance, relève désormais de l’urgence. Et tant qu’un véritable plan de sauvetage n’est pas annoncé, la situation ne fera qu’empirer. « Sinon, en économie et en management des entreprises, l’annonce d’une faillite pourrait s’avérer une solution et une sortie de crise à un moment donné. En 2000, Swissair, qui avait 70 ans d’existence, a enregistré une perte sévère d’1,8 milliard $US, qui a entamé la quasi-totalité de ses réserves en capital. Le 31 mars 2002, la faillite a été annoncée officiellement et une nouvelle compagnie «Swiss» a été créée from scratch. Parfois, il faut savoir prendre des décisions courageuses pour éviter l’expansion des dégâts », souligne Moez Joudi, expert en économie. De son côté, Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Ugtt, estime que la cession de la compagnie Tunisair est une ligne rouge, tout comme les autres entreprises publiques. Il a appelé le gouvernement à assumer ses responsabilités pour la restructuration de «Tunisair», en injectant les fonds nécessaires pour la sauver de l’effondrement «comme tous les pays du monde le font avec leurs transporteurs», de payer ses dettes financières. Notons que Tunisair enregistre une perte mensuelle de près de 80 millions de dinars. Des pertes dues notamment à la suspension des activités de la compagnie aérienne nationale suite à la propagation du Covid-19. Faut-il rappeler qu’un plan de sauvetage a été conçu — outre le plan de restructuration signé en mai 2019 — appelant essentiellement au report des échéances pendant six mois, au report des dettes, ainsi qu’à l’exemption de charges.
Au second trimestre de 2020, la compagnie nationale a enregistré une chute vertigineuse de 97% dans toutes ses activités par rapport à la même période en 2019. Durant le premier semestre de 2020, Tunisair a seulement transporté 580.321 passagers jusqu’en juin 2020, contre 1,646 million durant la même période en 2019, soit une baisse de 65%.
L’impact sur les revenus de Tunisair est direct. Ils ont, en effet, chuté de 95% au second trimestre de 2020 par rapport à la même période en 2019, passant de 416,2 millions de dinars à 19,1 millions de dinars. Durant le premier semestre de 2020, les revenus ont atteint 282 millions de dinars contre 775,5 millions de dinars en 2019.
Dans cet environnement d’incertitude et de crise, la compagnie s’est réjouie de la baisse de 97% des dépenses en carburant, passant de 109,4 millions de dinars à 2,8 millions de dinars en 2020. Dans ce même contexte, les charges du personnel, selon les chiffres de Tunisair ont diminué de 22%, pour se situer à 42,5 millions de dinars (contre 54,4 millions de dinars). Enfin, le report de toutes les échéances bancaires ont permis à la compagnie nationale de baisser ses charges financières de près de 100%.
La relance ne sera pas aisée
Cette crise inédite a mis en difficulté les équilibres financiers de l’entreprise de manière importante, alourdissant ses dettes et entravant toute démarche de régler le passif et de sécuriser ses engagements et, donc, de relancer la machine.
La relance ne sera pas aisée pour la compagnie, quand on sait que les déficits s’accumulent de plus en plus, générant un lourd endettement qui a atteint son summum. Cette lourde crise financière a provoqué plusieurs dysfonctionnements au sein de la compagnie. La direction générale de Tunisair indique que la crise financière et de gouvernance est due essentiellement aux charges salariales trop lourdes, dues à un sureffectif d’employés par rapport à la taille de la compagnie. Les dirigeants de la compagnie disent attendre depuis des années l’approbation du gouvernement d’un plan de restructuration pour un coût d’environ un milliard de dinars (300 M€) comprenant le départ de 1.200 employés sur les 8.000 que compte son effectif et des réformes structurelles. L’Etat tunisien et l’Ugtt excluent, aujourd’hui, le scénario de la faillite et de l’abandon de la Tunisie de sa compagnie aérienne nationale pour des raisons stratégiques et des perspectives commerciales tracées pour les 20 prochaines années qui plaident pour non seulement le maintien de Tunisair, mais de son développement.
Nouvelles mesures pour débloquer la crise
La réunion consacrée récemment à l’examen de la restructuration de Tunisair, qui a réuni le chef du gouvernement, le secrétaire général de l’Ugtt et les structures syndicales, a abouti à l’annonce de nouvelles mesures au profit des agents de la compagnie. Ces mesures concernent le déblocage des salaires des agents et cadres de Tunisair Catering, avant le 25 février 2021, la levée de la saisie conservatoire opérée par la Caisse nationale de la sécurité sociale (Cnss) sur les comptes bancaires de Tunisair, en coordination avec le ministère des Affaires sociales pour le rééchelonnement des dettes de la compagnie. A celles-ci s’ajoute l’organisation d’autres réunions entre la centrale syndicale et les représentants des parties prenantes (ministères) en vue de procéder à un diagnostic des principales problématiques auxquelles fait face la compagnie, et de mettre en place un plan de sauvetage.
Parmi les mesures figure également la mobilisation d’une enveloppe de 30 millions de dinars pour le paiement des fournisseurs de Tunisair Catering.